Retours et détours autour de la diffusion
Vendredi 24 mars 2023, de 8h30 à 17h30 – Université de Montréal, Pavillon Lionel-Groulx, Carrefour des arts et des sciences, Local C-1017-02 et à distance
Mise en contexte
Depuis sa fondation, en 1987, le Groupe interdisciplinaire de recherche en archivistique (GIRA) a organisé huit symposiums thématiques. Abordée dans la plupart d’entre eux en tant que dimension fondamentale de l’archivistique, la diffusion n’en a pourtant jamais été l’objet central alors qu’elle était placée au cœur de plusieurs congrès et numéros spéciaux de revues[1]. Expression proprement québécoise proposée en 1982 dans le premier manuel d’archivistique, elle est présentée comme « l’objectif ultime » (Couture, Rousseau en collaboration avec Pélissier, 1982, 257) dans le cadre de la mise en place d’un programme de gestion globale des archives. La diffusion est alors l’aboutissement de ce programme compris comme l’ensemble d’activités inscrites dans un continuum depuis la création jusqu’à la mise à disponibilité des documents pour le public, ce que l’on désignera comme l’archivistique intégrée. En 1999, Normand Charbonneau reprend le terme et en précise la définition :
La diffusion est l’action de faire connaître, de mettre en valeur, de transmettre ou de rendre accessibles une ou des informations contenues dans des documents d’archives à des utilisateurs (personnes ou organismes) connus ou potentiels pour répondre à leurs besoins spécifiques. [Elle] comprend toutes les relations entretenues par le personnel du centre d’archives avec sa clientèle interne ou externe, et ce, aux trois âges des documents. (Charbonneau 1999, 374)
Centrée sur les utilisateur.rice.s, la diffusion apparaît alors comme un ensemble d’activités structurées selon quatre axes significatifs. La promotion, qui vise à faire connaître les ensembles documentaires (documents et archives), la discipline (gestion documentaire et archivistique) et le travail des professionnels (gestionnaires de documents et archivistes). La valorisation qui représente toutes les activités qui permettent de mettre en valeur les archives. La référence, dont le but est de satisfaire aux besoins des utilisateur.rice.s. La communication qui regroupe les moyens pour assurer l’accès.
Ainsi définie, la diffusion interroge quant à son applicabilité à l’ensemble du cycle de vie des documents puisque les concepts qu’elle recouvre se déploient différemment selon que l’on parle de gestion documentaire ou de gestion des archives historiques. Élaborée dans la perspective de l’archivistique intégrée dans les années 1990, cette définition mérite d’être revisitée non seulement au regard des moyens disponibles pour sa mise œuvre, comme c’est le cas depuis une dizaine d’années, mais surtout dans une perspective réflexive éclairée, par exemple, par l’évolution des contextes sociaux et professionnels ainsi que par celle des attentes des utilisateur.rice.s. Ainsi, le 9e symposium du GIRA propose de s’intéresser aux acteurs (utilisateur.rice.s et professionnel.le.s), aux principes et aux modalités de mise en œuvre de la diffusion du point de vue de la gestion des documents et de la gestion des archives historiques.
Présentations
Introduction à la publication, Annaëlle Winand, Diana Walton et Virginie Wenglenski Texte intégral
8h00 : Accueil et présentation de la journée, Sabine Mas et Diane Baillargeon
8h30 : Normand Charbonneau (Bibliothécaire et archiviste adjoint du Canada retraité)
Conférence d’ouverture : Concepts à revoir ou à intégrer. Les mots de la diffusion Texte intégral
La définition choisie par les organisateurs du symposium correspond aux pratiques de la fin des années 1990 et englobe organiquement toutes les activités relatives aux contacts avec des usagers, internes ou externes. J’entends proposer un regard critique sur le terme « diffusion ». De plus, cette définition met, cela me préoccupe quand je la lis avec mes yeux d’aujourd’hui, en valeur des éléments du savoir-faire plus que ceux du savoir-être. Je vais tenter, en m’appuyant sur une terminologie différente, plus sociale et liée au savoir-être, de démontrer que l’évolution de notre société a eu un impact important sur nos pratiques. Il est possible que cela trace le chemin qui reste à parcourir puisque des concepts ou mots nouveaux témoignent différemment de nos façons de faire et des valeurs professionnelles des gestionnaires de documents et des archivistes.
Séance 1 : Archives et écritures de l’histoire
Présidence de séance : Virginie Wenglenski
8h50-9h20 : Sophie Boudarel (Généalogiste professionnelle)
Implication de la communauté généalogique dans la diffusion des archives
La diffusion des documents ne s’arrête pas à leur communication par le service d’archives. Elle se poursuit grâce aux utilisateurs, notamment les généalogistes. Depuis plus de vingt ans en France, les services d’archives nationaux, départementaux, et communaux, diffusent sur Internet les documents dont ils ont la charge. La numérisation s’inscrit non seulement dans le cadre de la conservation des documents, mais aussi de leur communication. La mise en ligne des registres d’état civil a permis d’atteindre un public plus large. Alors que les archives étaient plutôt réservées à un public majoritairement retraité, pouvant physiquement et financièrement se déplacer en salle de lecture, les mises en ligne ont permis de toucher un public de plus en plus large. Relégués dans des classeurs ou intégrés dans des publications à compte d’auteur, les documents d’archives ont d’abord été diffusés au sein de la sphère familiale. À l’ère du numérique, l’arrivée sur Internet des services d’archives s’est accompagnée de l’explosion des blogs. Les généalogistes diffusent dorénavant leur histoire familiale en ligne. Ils s’appuient sur des sources trouvées non seulement en salle de lecture, mais de plus en plus en ligne. Ces nouveaux médias de diffusion ont permis à ces nouveaux « lecteurs numériques » de s’approprier les documents d’archives. Cette transmission s’accompagne d’un appétit croissant pour de nouvelles sources afin de continuer à enrichir leur généalogie. Vingt ans plus tard, l’intérêt pour les archives en ligne ne faiblit pas, amenant les services d’archives à considérer de nouveaux moyens de diffusion. De leur côté, les généalogistes continuent la diffusion de leurs découvertes sur des nouveaux médias, touchant ainsi un nouveau public. Dans cette présentation, j’expliquerai comment, en France, la communauté généalogique joue un rôle majeur dans la promotion, mais aussi la valorisation des archives. Enfin, je montrerai quels sont les supports de diffusion et les conséquences de cette pratique auprès des services d’archives.
9h20-9h50 : Julie Lise Simard et Amélie Brassard (Étudiante au doctorat en sciences de l’information, École de bibliothéconomie et des sciences de l’information, Université de Montréal et chargée du projet Nipakanatik chez Minwashin ; Gestionnaire de projet chez Minwashin)
L’accessibilité aux archives : des enjeux différents en contexte anicinabe
Les professionnelles et professionnels de l’information peuvent élaborer nombre d’instruments de recherche, décrire et indexer les archives pour en faciliter le repérage, voire même créer des opportunités de valorisation comme des expositions ou des activités interactives pour diffuser les collections… Si les utilisatrices et utilisateurs finaux n’ont pas les outils, les ressources et les compétences pour tirer bénéfice des collections, tous ces efforts sont en quelque sorte vains, puisque la diffusion est l’objet final de la préservation et du traitement des archives (Couture, Rousseau et Pélissier, 1982). Or, en contexte de décolonisation, de vérité et de guérison, l’accès aux archives est primordial pour nourrir les mouvements de dénonciation et de reprise de contact avec l’identité effacée (Bell, Lai et Skorodenski, 2014). Il est assumé de plus en plus dans le discours archivistique dans les dernières décennies que les professionnelles et professionnels de l’information ne sont pas et n’ont jamais été neutres dans la pratique de leurs métiers (Christen, 2017). Et si, dans certains cas, les personnes le mieux placées pour gérer, décrire et diffuser les archives n’étaient pas des archivistes (Ghaddar, 2016) ? Jusqu’où l’autodétermination peut-elle et doit-elle aller ? Minwashin, un organisme culturel anicinabe à but non lucratif, s’est donné pour mission à travers un projet de bibliothèque virtuelle de rapatrier le patrimoine de la nation Anicinabe. Ce lieu virtuel sécuritaire et culturellement approprié vise à représenter les perspectives des anicinabek. Pour en arriver à diffuser les archives numériques de façon à ce que le public cible, les communautés anicinabek, puissent y avoir accès, il faut évidemment passer par les étapes nommées précédemment : décrire, indexer, classifier, etc. Mais quel langage documentaire utiliser ? Quel schéma de classification représente la vision du monde holistique des anicinabek pour qu’elles et ils puissent s’y retrouver ? Il faut également se pencher sur les enjeux éthiques liés à la diffusion ; historiquement, presque tout pouvait être rendu accessible. Qu’en est-il des archives et informations traditionnellement sacrées ou réservées à certains membres des communautés ? Comment assurer une gestion éthique et dans le respect de la culture anicinabe ? Minwahin réfléchit à ces enjeux par la pratique collaborative, et tente des réponses adaptées aux besoins spécifiques des anicinabek.
9h50-10h05 : Pause
Séance 2 : Archives et milieux communautaires
Présidence de séance : Diana Walton
10h05-10h35 : Désirée Rochat (Éducatrice communautaire et chercheuse transdisciplinaire)
Bâtir des écosystèmes archivistiques (ou ce que l’archivistique et le travail communautaire peuvent apprendre l’un de l’autre) Texte intégral
Kimberly Christen et Jane Anderson (2019) proposent d’œuvrer à la construction d’écosystèmes archivistiques ancrés dans une éthique relationnelle et des processus collaboratifs. Ces écosystèmes reconnaissent et mettent de l’avant la coexistence de diverses pratiques et expertises archivistiques pour mieux contrer et transformer les techniques et structures qui perpétuent les systèmes d’oppression et de dépossession. Comment le concept d’écosystème archivistique peut-il servir de cadre de référence pour réfléchir la transformation de l’archivistique ainsi que le rôle de l’archivistique dans la transformation sociale ? En croisant certains principes du travail communautaire guidé par une perspective de transformation et de justice sociale avec ceux de l’archivistique collaborative et communautaire, il devient possible d’envisager les écosystèmes archivistiques comme espaces de travail collectif à investir.
10h35-11h05 : Simon-Olivier Gagnon (Étudiant au doctorat en archivistique, Département des sciences historiques, Université Laval)
Radiodiffusion, activisme et rediffusion d’archives radiophoniques. Le travail de la coalition Sortons les radios-poubelles dans la ville de Québec Texte intégral
Certaines stations de radio parlées de la ville de Québec font l’objet de controverses depuis des décennies. Depuis dix ans maintenant, des efforts constants sont déployés par la coalition Sortons les radios-poubelles pour veiller sur le discours médiatique qui circule dans la ville. La coalition a créé une collection d’archives radiophoniques qui compile des milliers de documents audio sur ce style de radio controversé. En publiant quelques articles par jour sur son site Internet et sur les médias sociaux, les militants de la coalition remettent en contexte, parfois sur un ton moqueur, ironique et provocateur, les propos des animateurs radio qui relèvent parfois de la diffamation ou de la désinformation. La façon dont cette coalition procède pour documenter les discours de ces animateurs de stations de radio est simple : les militants de cette coalition enregistrent les émissions de radio en direct depuis leur domicile et certains enregistrements audios (de février 2009 à mai 2012) sont archivés sur la plateforme Internet Archives. Par la suite et par le biais des médias sociaux, il y a une rediffusion des propos tenus sur les ondes radiophoniques, que ce soit par la retranscription d’extraits radiophoniques ou le partage d’un hyperlien permettant de réécouter un enregistrement sonore. En procédant ainsi, la rediffusion des propos radiophoniques permet d’ouvrir un espace de réflexivité, de raisonnement et de critique sociale, un espace à la lisière entre la temporalité médiatique et archivistique. En rediffusant de tels extraits, dans lesquels il y a habituellement des propos injurieux (visant des populations dénigrées, humiliées, ou objets de dérision), la coalition vise à sensibiliser les annonceurs, les entreprises qui achètent de la publicité, à ce qui s’est dit sur les ondes de ces stations. En décrivant cette fabrique alternative d’archives et la diffusion qui s’ensuit, cette communication vise à présenter le travail de la coalition Sortons les radios-poubelles en regard de « l’anti-journalisme ordinaire ». Il sera question de mettre en lumière les principaux aspects de la pratique archivistique des activistes de cette coalition, à savoir la (re)diffusion d’archives. Cette communication présentera, en regard de la diffusion archivistique, ce que sont les implications culturelles et mémorielles de la mise à distance ainsi que de la remise en circulation de tels propos. Elle s’attardera ensuite aux événements (désinformation, campagne de sensibilisation, procès) qui ont marqué l’année 2020 et 2021, en pleine pandémie, et qui ont révélé à la fois la fragilité de ces archives constituées de manière alternative et la force de la critique des militants de cette coalition. Qu’est-ce que ces pratiques révèlent des archives et de la diffusion archivistique ? Que permettent-elles de mettre en perspective du côté de l’archivistique ? Voici les questions qui guideront cette communication.
Séance 3 : Le point de vue des institutions
Présidence de séance : Diane Baillargeon
11h05-11h35 : Sophie Côté (Archiviste-conseil, Bibliothèque et Archives nationales du Québec)
Diffusion de l’information gouvernementale dans le contexte de la transformation numérique : perspectives pour l’évolution de la gestion de l’information Texte intégral
La transformation numérique gouvernementale octroie à la diffusion de l’information une place centrale tant au sein de l’administration publique qu’auprès des citoyens. Cette transformation et plus largement, l’environnement numérique, modifie en profondeur la façon dont l’information est créée, diffusée et gérée. On assiste notamment à un changement d’échelle de la circulation de l’information au sein de l’administration publique qui engendre la nécessité de considérer la diffusion de l’information au-delà de chacune des organisations. Notre communication sera donc l’occasion d’esquisser les principales conséquences de ce changement de paradigme sur certains des concepts traditionnels de la gestion de l’information. On pense notamment à la terminologie utilisée, à la notion de cycle de vie et aux fonctions archivistiques incluant la diffusion. Enfin, nous énoncerons quelques perspectives pour l’évolution du cadre de la gestion de l’information et son importance pour la constitution et la diffusion du patrimoine informationnel auprès des citoyens.
11h35-12h05 : Jasmine Bouchard (Sous-ministre adjointe, Expérience des usagers et Mobilisation à Bibliothèque et Archives Canada)
État de la diffusion à Bibliothèque et Archives Canada : « Faut se parler »
L’histoire se renouvelle sans cesse, et notre passé est constamment redécouvert. C’est pourquoi les organisations de mémoire sont en constante évolution. Bibliothèque et Archives Canada (BAC) en est à planifier une expansion de ses activités de diffusion, axée sur les usagers, ainsi que sur l’inclusion d’un ensemble de perspectives. Ce développement s’appuie sur un nouveau plan stratégique, la bonification de l’offre numérique et le déménagement des services au public dans un nouvel édifice. Pour orienter ses efforts, BAC mise sur une approche collaborative qui mobilise les concepts de la conception créative (design thinking) et de la conception participative (co-design). De même que sur ses expériences et pratiques des dernières années en ce qui a trait à l’intégration des recommandations de ses comités consultatifs dans ses plans d’action. L’accès est essentiel pour comprendre. Et BAC est déterminé à entamer une vaste conversation avec les Canadiens et les Canadiennes, et ses partenaires, afin de faire connaître l’éventail des expériences canadiennes.
12h05-13h30 : Pause repas
Séance 4 : Archives et représentation de soi
Présidence de séance : Simon-Olivier Gagnon
13h30-14h00 : Margot Georges et Magalie Moysan (Docteure en archivistique associée au laboratoire TEMOS ; Maîtresse de conférences en archivistique, Université d’Angers, UMR TEMOS)
La diffusion des archives du point de vue des producteurs. Représentations et pratiques des chercheur·se·s en sciences du végétal et en sciences biomédicales Texte intégral
La diffusion des connaissances et des résultats de recherche constitue l’aboutissement du travail scientifique et figure en France dans les missions de l’enseignement supérieur public (article 123-6 du Code de l’éducation). D’ailleurs, la naissance d’Internet puis le développement de la science ouverte ont contribué à améliorer l’accessibilité des résultats. De même, dans la pratique archivistique, la diffusion – présentée sous différents vocables : communication et valorisation, pluralisation, etc. – est considérée comme l’une des « finalités » du métier (Couture, 1999), et lui donne du « sens » (Ricard, 2019). Pourtant, si les archivistes estiment que l’archivage constitue un préalable à la diffusion, il en va autrement pour les chercheur·se·s : la diffusion de la science, qui est pensée dès la production de la recherche, n’est a priori pas liée au processus l’archivage. C’est sur cette distinction apparente que se construit notre analyse. En nous positionnant du point de vue des chercheur·se·s, de leurs représentations et usages d’archives, nous souhaitons apporter un éclairage nouveau sur la diffusion en archivistique. Par un exercice de changement de perspective, nous regarderons l’objet « archives » de manière distanciée sous le prisme des chercheur·se·s en sciences du végétal et en sciences biomédicales en France. Trois axes principaux seront développés. Le premier visera à analyser la place qu’accordent ces chercheur·se·s à la diffusion et à ses composantes dans leurs définitions et représentations des archives. Le deuxième axe interrogera le cycle de vie des données et documents pour comprendre comment la diffusion est pensée par ces producteurs spécifiques dans leur gestion documentaire. Nous utiliserons tout particulièrement, comme grille d’analyse, le modèle du records continuum (Upward, 1996). Enfin, nous caractériserons, toujours depuis les conceptions et pratiques des chercheur·se·s, l’articulation possible entre archivage et diffusion des données de la recherche. Notre propos prendra appui sur plusieurs sources. Premièrement, il mobilisera un travail doctoral soutenu en avril 2022 portant sur les représentations des archives par les chercheur·se·s en sciences du végétal. Pour la rédaction de cette thèse, une enquête par questionnaire a recueilli 102 réponses exploitables et des entretiens ont été réalisés auprès de dix chercheur·se·s. Deuxièmement, une thèse sur les usages d’archives et les pratiques d’archivage des chercheur·se·s en sciences biomédicales entre 1968 et 2006 (soutenue en 2019) sera enrichie d’une analyse contemporaine sur la diffusion en entrepôts de données. Celle-ci sera réalisée à partir d’une étude de la bibliographie, des sites Internet des entrepôts étudiés et d’entretiens. En adoptant le point de vue décentré des chercheur·se·s en sciences du végétal et en sciences biomédicales français·es, nous apporterons des nuances et enrichissements aux théories du cycle de vie et de la diffusion en archivistique.
14h00-14h30 : Taïk Bourhis (Directrice de la Division des archives et de la gestion de l’information, Université de Montréal)
Penser la communication et la diffusion des archives stratégiquement
Au printemps 2022, la Division des archives et de la gestion de l’information (DAGI) de l’Université de Montréal (UdeM) lançait son Plan stratégique 2022-2025 dans lequel elle énonçait sa vision de la façon suivante : « Dans un monde en pleine transformation numérique, la DAGI est un partenaire essentiel qui met son expertise au service de ses clientèles et fait rayonner le patrimoine archivistique de l’UdeM. » La diffusion prise au sens large, c’est-à-dire incluant les activités de communication, de sensibilisation, d’advocacy, de formation et de mise en valeur, est au cœur de cette vision. L’archiviste, pour pourvoir jouer son rôle de gardien et de promoteur des archives, doit notamment être en mesure bien se positionner au sein de son organisation et de se faire connaître auprès de ses différentes clientèles. Dans le cadre d’une approche intégrée de l’archivistique, l’équipe de la DAGI travaille activement au développement et à la mise en œuvre d’une stratégie de communication et de diffusion qui vise à rejoindre l’ensemble de ses clientèles et partenaires, tant à l’interne qu’à l’externe. Ce faisant, plusieurs questions se posent. Comment changer les perceptions parfois biaisées sur le rôle de l’archiviste ? Comment bien promouvoir les services offerts ? Comment convaincre de notre valeur ajoutée et de notre apport dans la réalisation de la mission de l’organisation ? Comment atteindre l’équilibre entre la promotion de nos services et collections sans être victime de notre succès et risquer de ne pas être en mesure de livrer la marchandise par manque de ressources ? Partant de l’expérience de la DAGI de l’UdeM, voici quelques-uns des défis et enjeux en lien avec la diffusion qui seront abordés lors de cette présentation.
14h30-14h45 : Pause
Séance 5 : Archives et représentation de l’Autre
Présidence de séance : Annaëlle Winand
14h45-15h15 : Diana Walton (Candidate au doctorat en sciences de l’information, option muséologie, École de bibliothéconomie et des sciences de l’information, Université de Montréal)
La sélection des archives en contexte de valorisation patrimoniale
Dans un contexte où les archives religieuses du Québec représentent les forces vives d’un passé qui a forgé notre histoire et notre culture et qui risque de sombrer dans l’oubli en raison du déclin des communautés religieuses, il apparaît particulièrement pertinent de se pencher sur leur valorisation, un sujet qui aurait avantage à être approfondi dans le cadre d’études en archivistique. Il apparaît également à propos de resituer le patrimoine en fonction du processus de patrimonialisation tel que défini en muséologie car, pour faire un patrimoine, la reconnaissance par des experts pour sa sauvegarde ne suffit pas. Ce statut est tributaire de démarches répétées de mise en médiation, notamment par la valorisation, pour que les archives soient maintenues à l’attention des publics d’aujourd’hui. La valorisation consiste à mettre en valeur des objets qui sont sélectionnés pour leur force documentaire et symbolique pour atteindre différents publics. Dans une perspective muséale et patrimoniale, la valorisation est une forme d’exploitation pour véhiculer des propositions pour donner à penser le monde, produire un gain de connaissance et maintenir vivantes des significations associées à des biens culturels menacés de destruction ou en perte de pertinence. Les archives sélectionnées en contexte de valorisation deviennent ainsi des objets porteurs de significations qui sont proposées au public par la contemplation, l’interprétation ou l’interaction à travers divers modes de mise en valeur, de l’exposition à toutes les formes d’activités culturelles et pédagogiques, en virtuel ou in situ. Par conséquent, une vision plus vaste des archives s’avère fondamentale pour illustrer leur potentiel de valorisation. Ainsi, en plus des valeurs archivistiques de témoignage et d’information et leurs déclinaisons sur lesquelles se fondent les raisons de leur conservation permanente, les archives sont envisagées d’un point de vue muséologique en tant qu’objet muséal et patrimonial, en tant qu’être de langage ou objet phare; et nous considérons également les archives dans une perspective postmoderne transposée au contexte de valorisation, permettant notamment à d’autres voix de se faire entendre. L’archiviste peut s’avérer un acteur de première ligne dans la construction et la transmission de sens d’un patrimoine auprès de la collectivité, à travers sa valorisation. Il ne s’agit pas seulement de rendre accessibles des archives, mais également d’envisager celles-ci comme des objets vecteurs et porteurs de significations multiples à exploiter dans le cadre d’activités de valorisation. Ces objets/archives sont des portes d’accès permettant à la collectivité d’accéder au patrimoine archivistique et à se l’approprier. Ainsi, cette communication examinera plus en détail les notions de valorisation, de patrimonialisation et d’objets/archives, et la manière dont elles sont interreliées.
15h15-15h45 : Julia Minne et Élisabeth Meunier (Chargée de l’initiative Savoirs Communs du Cinéma ; Directrice de la préservation et du développement des collections par intérim, Cinémathèque québécoise)
Penser autrement la diffusion des données/archives cinématographiques : l’exemple de l’initiative Savoirs Communs du Cinéma
Depuis 2017, la Cinémathèque québécoise conduit une initiative consacrée à l’ouverture, la liaison et la diffusion des données cinématographiques qu’elle préserve depuis plus de cinquante ans. Par données, nous entendons : des documents d’archives (audiovisuelles, photographiques, papier…) ainsi que des données créées à des fins de documentation (résumés d’oeuvres, crédits et génériques…) ou de gestion (statistiques de fréquentation). Dans une perspective collaborative, l’initiative Savoirs Communs du Cinéma souhaite favoriser le partage des connaissances et la découvrabilité des oeuvres et artistes québécois·e·s et canadien·n·e·s pour insuffler de nouveaux gestes de création. Les ateliers développés dans le cadre de ce projet nous ont permis d’explorer de nouvelles formes de collaboration avec les citoyens et artistes et de nous former aux technologies du web sémantique et des données ouvertes et liées en enrichissant notamment, les plateformes de la Fondation Wikimédia (Wikidata, Wikipédia et Wikimédia Commons). Ce faisant, nous avons toutefois constaté que l’ouverture, la diffusion et la réutilisation des données et archives sur le Web pouvaient être freinées dans le milieu culturel et artistique par des obstacles juridiques ou des problématiques de documentation. Cesexpérimentations nous ont fait par ailleurs prendre conscience des inégalités de genre subsistantes au sein de nos collections et du manque de ressources numériques disponibles sur les œuvres cinématographiques produites par les réalisatrices québécoises et canadiennes. En effet, les façons de documenter nos archives et de structurer nos données conditionnent la recherche, la découvrabilité et la réutilisation de celles-ci, ainsi que l’invisibilisation de certaines communautés sur le Web. Œuvrant dans une institution patrimoniale, nous sommes guidées principalement par des normes et politiques archivistiques qui priorisent les enjeux de conservation et ne tiennent pas en compte les exigences liées à la redocumentarisation et la réutilisation des données et archives. En outre, la recherche en humanités numériques (Lisa Nakamura, Ruha Benjamin) et l’apport d’une littérature développée dans le champ les études féministes sur les archives (Jacqueline Wernimont, Tara McPherson) nous poussent à prendre en considération les discriminations de genre, sexuelles, capacitistes, de classe et de race existantes dans notre milieu. Ces recherches nous amènent ainsi à réfléchir à de nouvelles stratégies ayant pour objectif de mettre en lumière la contribution des femmes dans notre culture cinématographique. Dans ce contexte, notre nouveau volet, financé sur une durée de trois années supplémentaires (2022-2024) par le Conseil des arts du Canada, vise à mettre en place un cadre de gouvernance juridique et documentaire, en collaboration avec des créatrices, qui prenne mieux en compte les besoins liés à la réutilisation des archives et à la représentation des réalisatrices québécoises et canadiennes sur le Web. Avec le concours d’une dizaine de partenaires et associée·s issu·e·s des arts, des études féministes, du domaine juridique, du Web sémantique ou encore du co-design, ce deuxième volet se concentrera sur les objectifs suivants :
1. Créer un modèle documentaire et juridique favorisant l’auto-expression des communautés marginalisées et la réutilisation des archives.
2. Insuffler de nouveaux gestes de création par la réutilisation de nos archives.
3. Améliorer la représentation des cinéastes québécoises sur le web.
4. Transformer nos pratiques à l’interne et partager nos expertises.
Dans le cadre de cette communication, nous reviendrons dans un premier temps sur les expérimentations et hypothèses de recherche qui nous ont amené·e·s à développer ce nouveau volet. Dans un deuxième temps, nous partagerons les étapes de développement ainsi que les réflexions et problématiques rencontrées pendant la première phase du projet (2021-2022) et nous finirons cette communication en dévoilant nos prochaines activités ainsi que les questions formulées par notre équipe ainsi que nos partenaires.
15h45-16h00 : Pause
Présidence de séance : Yvon Lemay
16h00-16h30 : François Dansereau (Directeur, Archives des jésuites au Canada)
Espaces de diffusion et contextes numériques : Diffusion active, principes éthiques et développement de connaissances Texte intégral
La diffusion telle que définie par le milieu archivistique au Québec fait émerger de multiples interrogations quant à l’impact de celle-ci dans des conversations sociétales plus large. Cette communication propose d’explorer la diffusion pas en tant que fonction archivistique, mais plutôt selon une approche qui inscrit celle-ci dans des discours mémoriels dynamiques. D’abord, j’insiste sur la nécessité d’impliquer d’autres interventions archivistiques, en particulier la description, afin d’interroger la diffusion. Transmettre et rendre accessible des documents historiques vers un public implique, a priori et en toute logique, d’autres actions archivistiques. En d’autres termes, la diffusion et l’utilisation des archives « participe à l’interrelation des fonctions, voire au redéploiement des processus. » (O’Farrell, 2013-2014, p. 112) Il y a alors lieu de se pencher sur la manière dont la diffusion s’opérationnalise dans des environnements numériques. Des questions sur la mise en archives, les métadonnées et autres éléments descriptifs associés à la diffusion de documents historiques sur des plateformes numériques sont au cœur de cette communication. Les métadonnées qui accompagnent les documents d’archives sont d’autant plus cruciales dans des espaces numériques qui peuvent obscurcir l’authenticité et la valeur contextuelle des archives. (Force et Smith, 2021) En parallèle, dans un deuxième temps, cette communication met de l’avant des variables éthiques qui engagent des cadres de référence transdisciplinaires. Alors qu’une prise de conscience collective se développe dans le milieu archivistique concernant la valorisation d’archives provenant de communautés marginalisées, cette communication met de l’avant des questions primordiales associées à la diffusion de ce type de contenus se trouvant dans des institutions d’archives traditionnelles. La description et l’indexation des documents historiques sont alors complexifiées afin de forger une diffusion éthique qui prend compte, entre autres, du pouvoir des technologies numériques et de l’ampleur sociale, culturelle et politique de la terminologie utilisée dans des lieux de diffusion. La description archivistique est ainsi à son tour conceptualisée comme un axe communicatif qui comprend des énoncés sociohistoriques et complexes. En présentant la description archivistique comme composante cruciale de la diffusion, cette communication insiste sur le pouvoir de nommer les archives. Les rencontres avec les archives dans des lieux numériques sont ainsi mis de l’avant pour signaler la portée de la diffusion de documents d’archives, d’instruments de recherche et autres indicateurs d’indexation développés afin de faciliter la repérabilité et permettre l’utilisation des archives. L’interconnectivité des interventions archivistiques est alors présentée comme une approche pertinente qui réoriente les balises de la diffusion vers le développement de connaissances plutôt que sur une approche fonctionnelle introspective.
16h30-17h00 : Anouk Dunant Gonzenbach (Archiviste d’État adjointe, Archives d’État de Genève)
Le Corps Archive. Un film né de la rencontre entre archives et danse Texte intégral
En juin 2014, l’Atelier Danse Manon Hotte et la Cie Virevolte qui lui est lié ferment leurs portes à Genève pour des raisons financières. Manon Hotte, originaire du Québec, évolue comme danseuse, chorégraphe et pédagogue depuis 35 ans dans le milieu professionnel de la danse à Genève. La caractéristique de son travail est la création en danse avec les enfants et adolescents avec lesquels elle a réalisé une trentaine de pièces chorégraphiques et projets pédagogiques. A partir de ce travail, elle a élaboré avec son équipe une pédagogie basée sur le travail de création dont est issue une génération de danseurs créateurs évoluant actuellement en Suisse et outre- Atlantique. Que vont alors devenir les documents qui en sont issus ? Suite à une rencontre entre Manon Hotte et Anouk Dunant Gonzenbach, archiviste d’Etat adjointe à Genève, il est décidé d’archiver ce fonds. De là naît le projet Création, semis et palabres, un projet d’archives vivantes et évolutives, qui nous permet de développer une notion encore peu concrétisée en archivistique, l’archivage des processus de création. Pendant deux ans, la chorégraphe et l’archiviste co-construisent ainsi des archives vivantes en étendant un large réseau de connections notamment au Québec. Le concept de « boîte à création » est développé. Une telle boîte contient, outre le processus de création de chaque pièce, une chemise vide destinée à recevoir le témoignage du créateur ou du lecteur ayant consulté et utilisé les documents s’y trouvant. Le fonds d’archives se trouve dans un lieu dédié à la création en danse contemporaine ouvert aux résidences artistiques, un lieu alternatif par rapport aux institutions d’archives et donnant lieu à un travail de création, de médiation et de diffusion. Plusieurs projets en sont issus, dont Blanc mémoire, une installation-archive qui s’active grâce à la présence et aux réflexions du public, présentée en 2018 au théâtre du Galpon à Genève, des ateliers Ecole et culture destinés aux classes de l’école primaire et le film Le Corps Archive (2022). Dans le cadre du centième anniversaire de l’Association des archivistes suisses commémoré au long de l’année 2022, Manon Hotte a proposé la création d’une danse à partir de la rencontre entre une danseuse et une archiviste dialoguant sur leur métier. En s’appuyant sur leur médium respectif qui est le document pour l’une et le corps pour l’autre, elles confrontent ainsi le document historique archivé au corps de la danseuse façonnée par le vécu de toutes les danses travaillées et en gestation. Présentée dans l’intimité des magasins d’archives, cette danse offerte en guise de cadeau est à son tour conditionnée selon un concept original d’archivage de processus de création chorégraphique. L’entièreté du déroulement de la création a été filmé par le réalisateur Robin Harsch. Le film qui en résulte est diffusé sous le titre Le Corps Archive[1]. Ainsi, cette présentation propose d’analyser de quelle manière un processus de création artistique s’archive de façon à insuffler d’autres créations.
17h00-17h30 : Yvon Lemay (Professeur associé, École de bibliothéconomie et des sciences de l’information, Université de Montréal)
Conclusion et échanges avec les participant.e.s Texte intégral
En guise de conclusion, et dans le but de favoriser les échanges avec les participant·e·s, nous avons dans un premier temps extrait des résumés et notes biographiques soumis par les conférencier·ère·s lors de l’appel à propositions des mots et expressions qui nous apparaissaient particulièrement significatifs quant à la diffusion. Dans un deuxième temps, nous avons regroupé ces extraits de façon à faire apparaître les différentes facettes de la question envisagées par les conférencier·ère·s. Enfin, ces regroupements ont fait l’objet d’un montage en vue de développer une trame narrative qui soit aussi cohérente qu’évocatrice. Les sources des extraits cités dans chacun des regroupements sont indiquées dans les notes en bas de page.
17h30 : Cocktail de clôture (Pavillon Lionel-Groulx, Laboratoire civilisations et cultures Marius-Barbeau)
Version complète des actes du 9e symposium 2023 à consulter sur Papyrus.
Les annexes (appel à proposition, résumé et note biographique, programme, mot d’accueil, compte-rendu) Texte intégral
Notes
[1] Le film est disponible sur le site de l’Association des archivistes suisses à l’adresse suivante : https://vsa-aas.ch/fr/association/centenaire-de-laas/le-corps-archive/